Écrire de façon mélodramatique est une erreur relativement commune chez nous, auteurs. Évidemment, nous voulons que nos histoires aient un impact émotionnel sur le lecteur, mais si nous ne comprenons pas comment cela s’opère au niveau technique, il est facile de se retrouver à la place avec un texte à l’eau de rose. Voyons ensemble ce qu’est une prose mélodramatique, pourquoi cela ne fonctionne pas, et qu’est-ce que nous pouvons faire pour que nos écrits aient l’impact émotionnel désiré. Ensuite, nous aborderons des situations particulières comme la dépression et l’anxiété, parce qu’éviter le mélodrame dans ce cas demande une approche technique différente.
Une bonne définition d’un style mélodramatique est de dire qu’il s’agit d’une narration qui en fait des tonnes pour raconter à quel point une situation est émotionnellement extrême, sans avoir le contenu qui va avec. En des termes plus techniques, il s’agit d’un texte qui raconte les émotions au lieu de les montrer – et qui les raconte en tombant dans l’exagération.
La plupart du temps, cela passe par la description des réactions émotionnelles du protagoniste. Passons en revue quelques exemples.
En voici un évident, issu du célèbre 50 Nuances de Grey de EL James. La scène ci-dessous se déroule après la séparation d’Anastasia et Christian, vers la fin.
Je m’écroule sur le lit, toute habillée avec mes chaussures, et je hurle. La douleur est indescriptible… physique, mentale… métaphorique… elle est partout, elle s’infiltre dans la moelle de mes os. Peine. C’est de la peine – et je ne la dois qu’à moi seule. Au fond de moi, une mauvaise pensée me vient de ma déesse intérieure, ses lèvres tordues en un rictus carnassier… la douleur physique due à la morsure d’une ceinture n’est rien, rien comparée à cette dévastation. Je m’enroule sur moi-même et m’abandonne à ma peine.
Dans cet extrait, nous ne savons absolument rien de la source du désespoir d’Anastasia. À la place, le texte ressasse le ressenti du personnage encore et encore. Le terme « peine » est utilisé trois fois en un seul paragraphe.
Voici un second extrait issu de L’Épée de Shannara, de Terry Brooks.
Le ciel disparut soudain derrière une chose énorme et noire qui flotta au-dessus de leurs têtes puis disparut hors de vue. Un moment plus tard, elle passa à nouveau, en un lent vol circulaire, sans pourtant donner l’impression de bouger, son ombre sinistrement pendue au-dessus des deux voyageurs dissimulés, comme si elle se préparait à leur tomber dessus. Une soudaine terreur fusa dans l’esprit de Flick, le piégeant dans une toile d’acier tandis qu’il essayait d’échapper à la folie pétrie de peur qui l’envahissait. Quelque chose sembla creuser dans sa poitrine, pressant lentement l’air hors de ses poumons, et il se retrouva à haleter pour avaler quelques goulées d’air. Une vision fugitive passa devant lui, une image noire tissée de rouge, de mains griffues et d’ailes géantes, une chose si mauvaise que son existence même menaçait sa fragile vie.
Dans cet extrait de L’Épée de Shannara, un monstre vole dans le ciel, mais sa description est vague. La plus grande partie du passage évoque comment Flick ressent la présence du monstre. Bien que la créature semble effectivement intimidante, la réaction du personnage semble très exagérée. Des sensations internes comme des poumons vidés de leur air et un personnage haletant sonnent déjà comme une réaction forte, alors ne parlons pas de cette chose qui semble lui « creuser la poitrine ». Et parce que la métaphore « le piégeant dans une toile d’acier tandis qu’il essayait d’échapper à la folie pétrie de peur qui l’envahissait » n’a aucun lien tangible avec ce qu’il se passe vraiment dans la scène, Brooks se permet d’exagérer plus qu’il ne le pourrait autrement. Tout cela rend ce passage très mélodramatique.
Voyons enfin un passage plus subtil tiré de L’Épée de Vérité de Terry Goodkind.
Tristesse et dépression le submergèrent, et même s’il avait toujours son frère, il se sentait abandonné. Devenir adulte ne lui offrait aucune protection contre le sentiment désespéré d’être orphelin et seul au monde, un sentiment qu’il avait déjà connu par le passé, à la mort de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant.
Il y a bien ici une référence à la mort de la mère du personnage, mais ce n’est qu’une fugitive évocation. Son frère est toujours là. Comme dans les exemples précédents, la description des sentiments est répétitive. Le personnage se sent à la fois triste et déprimé, à la fois abandonné et orphelin. Il suffit de quelques mots pour dire qu’un personnage a peur ou est triste, et donc les auteurs se débattent pour exposer ces émotions sur la durée.
La plupart des auteurs ont conscience que la raison d’être d’un personnage est d’établir la connexion avec le lecteur, d’emporter l’audience dans l’histoire. Et puisque le protagoniste est la source de l’investissement émotionnel du lecteur, il est naturel de penser que si le personnage ressent quelque chose, alors le lecteur le ressent lui aussi. Et si cela ne fonctionne pas, c’est que nous devons simplement faire en sorte que le personnage ressente plus fort, n’est-ce pas ?
Eh bien non, ce n’est pas comme cela que ça marche.
Pour éviter de créer une prose mélodramatique, il est nécessaire de comprendre comment les histoires créent les émotions chez le lecteur – ou plutôt, il est nécessaire de comprendre qu’elles ne le font pas. Le lecteur n’est pas le destinataire passif d’une sorte de manipulation psychique : vous ne pouvez pas lui faire ressentir des choses.
Ce que vous faites en tant qu’auteur est de narrer des événements. Le lecteur va assister à ces événements et ressentir des émotions lorsque ces événements auront un sens pour lui, exactement de la même façon que dans le monde réel. Pour comprendre la différence, imaginez qu’un ami se mette en colère alors qu’il lit le journal. Allez-vous penser : « Diantre, l’article qu’il est en train de lire est certainement écrit de façon très évocatrice » ? Probablement pas. Vous penserez : « Que se passe-t-il ? »
Quand un article de journal nous affecte, c’est l’événement décrit dans le texte qui produit l’émotion. Le journaliste peut nous aider à mieux ressentir son impact s’il relate les événements particulièrement bien, mais ce n’est pas lui qui produit ce que nous ressentons via son choix de mots. Il en va de même en fiction.
Observons les choses sous un autre angle : quelqu’un que vous aimez beaucoup décide de mettre fin à votre relation. Tandis que vous vacillez sous le coup émotionnel que vous venez de recevoir, il y a des chances que dans votre esprit défilent :
En revanche, il est peu probable que vous vous appesantissiez sur :
La première liste évoque les multiples ramifications et conséquences (réelles) de ce qui vous arrive – c’est cela qui vous rend triste. La seconde liste ne fait que statuer sur vos réactions à ce qu’il vient de se produire. Or, pleurer ne vous rend pas triste ; c’est parce que vous êtes triste que vous pleurez. L’écriture mélodramatique se concentre sur les réactions émotionnelles au lieu de leurs causes, et c’est pour cela qu’elle ne fonctionne pas : vos lecteurs ne seront pas tristes sous prétexte que votre personnage pleure. Mais si vous décrivez les raisons pour lesquelles le personnage pleure, alors vos lecteurs pleureront peut-être eux aussi.
Si une description excessive des sentiments du personnage ne fonctionne pas, qu’est-ce qui fonctionne ? Comment créer un texte qui a de l’impact en général, et qui sait – plus spécifiquement – nous narrer comment les personnages vivent leurs moments difficiles ?
Écrire un texte puissant passe d’abord par des bases fondamentales de dramaturgie.
Tout d’abord, vous devez faire en sorte que votre personnage compte pour votre lecteur. Dans une moindre mesure, il en va de même pour vos autres personnages, pour les liens entre eux, pour les communautés qu’ils forment ou les lieux dans lesquels ils vivent. De la même façon que dans la vraie vie, nous sommes plus touchés par la vision de quelqu’un qui souffre si on connaît cette personne et si on l’aime. Cela peut prendre du temps pour qu’un lecteur s’attache aux personnages, donc ne vous attendez pas à le voir verser une larme dès votre scène d’ouverture.
L’étape suivante est d’introduire dans l’histoire des événements qui méritent effectivement l’émotion que vous cherchez à susciter. Revenons un instant à l’exemple de Flick dans l’extrait de L’Épée de Shannara : oui, il est possible que cet obscur monstre volant soit effrayant, mais dans cette scène il ne fait rien d’autre que de voler en cercle dans le ciel. Pour justifier la peur panique du personnage, l’auteur aurait pu dissimuler Flick dans une crevasse entre des rochers et décrire une patte griffue tenter de l’atteindre, déchirant en partie ses vêtements, à deux doigts de l’attraper. Ou bien Flick pourrait conduire un troupeau de moutons, et le monstre pourrait fondre sur eux et en emporter plusieurs d’un coup, manquant de peu de prendre Flick dans le lot. Soyez réaliste au sujet du niveau émotionnel que vos événements peuvent produire, et évitez de les survendre !
Le lecteur doit comprendre ce que ressent votre personnage, mais vous devriez tenter de montrer ces sentiments plutôt que de les raconter, et encore moins les étaler laborieusement sur tout un paragraphe. En général, la plupart de votre texte devrait se concentrer sur ce qu’il se passe, mais du point de vue (biaisé) du personnage.
Tiré de ma critique sur L’Épée de Vérité, voici comment vous pouvez exprimer un sentiment d’abandon simplement en relatant des événements.
La mère de Richard était morte alors qu’il était jeune. En ce temps-là, il n’avait pas compris ; il pensait qu’elle était toujours là, quelque part. Il avait demandé à son père encore et encore pourquoi elle ne pouvait pas rentrer à la maison. Sans doute Richard ne pouvait-il pas blâmer son père pour ses escapades, après ça ; ses palpitantes aventures à l’étranger étaient sans doute bien plus séduisantes que ses deux tristes fils dans leur cabane. C’est ainsi que Richard s’était cramponné à Michael, à la place, mais désormais même Michael préférait aller de ses fêtes amusantes à ses réunions importantes plutôt que de rendre visite à son petit frère.
Ci-dessus, les événements ont été présentés pour exprimer l’idée que la famille de Richard l’abandonne lui, spécifiquement. C’est le point de vue du personnage. Que le père trouve ses voyages plus séduisants ou que le frère préfère aller à des fêtes que de venir le voir ne sont que la façon dont Richard interprète la réalité.
Vous pouvez toujours utiliser le langage corporel, les sensations internes ou des métaphores élaborées. Néanmoins, gardez à l’esprit que même si cela permet d’exprimer comment se sent le personnage, cela ne fera que raconter l’émotion plutôt que de la montrer en action. Cela signifie que vous devriez vous en servir comme d’un assaisonnement, pas comme d’un plat de résistance. Si vous en saupoudrez ici et là avec parcimonie, cela peut relever votre prose ; si vous ne servez que ça, vos lecteurs se demanderont où diable est passé leur dîner !
Jetons un œil à une version retravaillée de l’extrait de 50 Nuances de Grey, qui conserve la plupart du langage corporel et ajoute même une métaphore en guise d’effet final.
Je m’écroule sur le lit, toute habillée avec mes chaussures. Je vois encore le visage blême de Christian, ses yeux agrandis de stupeur, sa bouche entrouverte. C’est moi qui ai fait ça. Je l’ai blessé, et je ne serai plus jamais source de sourire pour lui. Je ne me lancerai plus dans l’une de ces aventures secrètes qu’il planifiait pendant des semaines. Je ne découvrirai jamais la cause de sa blessure profonde, et ne l’aiderai pas à en guérir. À partir d’aujourd’hui, je me contenterai de me lever le matin, d’accomplir mon travail sans intérêt, de passer des soirées ordinaires, et je prétendrai que la chose la plus importante qui me soit arrivée dans la vie ne s’est jamais produite.
Je m’enroule sur moi-même et m’abandonne à une tempête de rêves déchus.
Ci-dessus, j’ai coupé tout le centre du paragraphe (qui était sans intérêt) et l’ai rempli avec de la substance – des faits. J’ai également supprimé toutes les mentions de douleur, de peine et de dévastation, qui n’étaient que du raconté. Enfin, j’ai retiré tout ce qui était exagéré. Par exemple, il existe vraiment peu de situations où il est justifié que votre personnage hurle. Ici, gémir aurait plus de sens, mais serait plus approprié en réponse à une sensation physique plutôt qu’à une angoisse émotionnelle.
Si vous désirez introduire une métaphore ou un langage évocateur comme « le piégeant dans une toile d’acier tandis qu’il essayait d’échapper à la folie pétrie de peur qui l’envahissait » dans l’extrait de L’Épée de Shannara, évitez les termes extrêmes et clichés. Le Mal ou la Mort sont des termes exagérés, tout ce qui est sombre et obscur est trop utilisé. L’usage du terme folie est ici trop extrême. D’une façon générale, plus la situation de votre histoire est extrême, plus elle contient d’éléments tels que la mort et des choses ténébreuses, et plus vous pouvez vous passer de ces mots-là. D’ailleurs, surtout dans ce cas, les utiliser a plus de chances de gâcher l’atmosphère que de rendre la scène plus triste ou effrayante.
Outre le fait de vous concentrer sur le contenu de l’histoire, vous pouvez aussi pousser les événements à toucher le public en écrivant une prose immersive. Donnez à l’action de la chair en incluant des détails réels, en jouant sur les cinq sens, et surtout en conservant fermement une focalisation interne. Bien entendu, tout cela est plus difficile que de faire pousser à votre personnage « un gémissement hanté par la mort », mais hey, c’est ça l’écriture…
Nous entrons désormais en territoire sensible.
Imaginons que notre protagoniste souffre d’anxiété chronique, de dépression, ou d’un état similaire. Disons qu’en tant qu’auteur vous en savez beaucoup sur le sujet parce que vous en avez souffert vous-même ou que vous avez fait beaucoup de recherches. Vous voulez que ce personnage soit une représentation positive pour les personnes qui vivent pareilles expériences, mais vous désirez aussi que votre livre s’adresse à tous les lecteurs, dont la plupart n’ont jamais enduré une telle situation. Cela signifie que le public n’aura pas la même réponse émotionnelle aux événements que votre personnage.
Comme je l’ai expliqué plus tôt, vos mots ne font pas naître les sentiments chez le lecteur. Les histoires ne font qu’essayer de faire ressembler des événements fictionnels à de véritables situations ; la réaction émotionnelle normale du lecteur à ces événements fait le reste. Hélas, les personnes qui souffrent de dépression ou d’anxiété ne vivent pas la même expérience que les autres face aux mêmes événements. La dépression n’est pas juste de la tristesse. L’anxiété n’est pas de l’inquiétude. Ce sont des expériences de vie uniques que seules les personnes touchées peuvent comprendre. Si vos lecteurs n’ont jamais expérimenté ces situations, rien de ce que vous pourrez écrire ne leur permettra de ressentir ce que votre personnage ressent.
Pire : il est possible que les lecteurs qui souffrent de ces pathologies dans la vie réelle soient fortement affectés par la dépression ou la panique vécue par votre personnage. Cela peut rendre l’expérience de lecture particulièrement désagréable pour eux. Si vous n’avez jamais expérimenté ces sensations vous-même, vous devriez éviter de vous lancer pareil challenge. Inclure un personnage marginalisé dans votre histoire devrait toujours avoir un impact positif sur les véritables personnes issues de ces groupes. Si ce n’est pas le cas, cela s’appelle de l’exploitation.
En conséquence, que pouvez-vous faire ? Vous pouvez fournir au lecteur une meilleure compréhension de comment ces pathologies fonctionnent et de l’obstacle qu’elles représentent au quotidien pour ceux qui en souffrent. Vous pouvez créer de l’empathie, aider les lecteurs à comprendre comment se montrer plus respectueux, et montrer comment des traitements efficaces et des aménagements spécifiques améliorent au quotidien la vie des gens. Le meilleur pour la fin : vous pouvez participer à une représentation plus positive de ces pathologies, ce qui ne serait pas de trop.
Et tout cela commence par le fait de dire clairement au lecteur que le personnage souffre d’un état tel que la dépression ou l’anxiété.
Comparons deux histoires avec deux approches différentes du sujet.
Dans le cinquième livre de la série des Harry Potter, Harry se débat avec un état émotionnel qui pourrait bien être une dépression. On le voit sujet à de violentes sautes d’humeur, s’en prendre à ses amis ou être terrifié que quelque chose cloche chez lui. Rowling est habile dans son écriture, montre ses sentiments au lieu de les raconter. Les éléments déclencheurs qui le rendent colérique ou qui l’apaisent sont clairs.
Néanmoins, même si ses sentiments sont toujours liés à une justification à laquelle le lecteur peut se raccrocher, ses réactions sont plus fortes que ce à quoi on pourrait s’attendre. Quand Hermione et Ron lui dissimulent une information parce que Dumbledore le leur avait fait promettre, Rowling écrit une page entière de dialogues où Harry hurle sur ses compagnons. Lorsqu’il s’inquiète d’être possédé par Voldemort, il se coupe de tous ses amis et alliés, refusant de parler à qui que ce soit.
Rowling ne précise jamais si Harry souffre bel et bien de dépression ou d’une autre pathologie émotionnelle. Puisque Harry ne saurait probablement pas le dire lui-même, le faire suggérer par un autre personnage aurait pu être judicieux. Au lieu de cela, les autres personnages commentent ses sautes d’humeur sans sembler se rendre compte qu’Harry se débat avec quelque chose de plus sérieux qu’un petit passage à vide. Ses sentiments sont traités par l’histoire comme une simple faiblesse psychologique à vaincre par le héros. Harry ne suit aucune thérapie, ne prend aucun médicament, ni n’a recours à un quelconque équivalent du monde des sorciers.
Parce qu’aucune pathologie n’est clairement nommée, de nombreux lecteurs n’ont pas compris Harry et ne se sont pas attachés à lui. Ils ont critiqué son état permanent de nervosité et l’ont jugé agaçant. Pendant ce temps, les gens souffrant de dépression dans le monde réel ont dû regarder Harry se débattre avec son état, sans aide, tandis que ses proches le blâmaient pour son attitude. C’est la pire des choses que vous puissiez faire lorsque vous décrivez un personnage qui souffre de quelque chose comme une dépression.
Le personnage principal de The Calculating Stars, Elma, souffre d’anxiété sévère lorsqu’elle se trouve au centre des attentions. Néanmoins, elle a aussi besoin de convaincre la NASA, ainsi que le grand public, qu’elle-même et les femmes en général sont assez qualifiées pour être astronautes. À cause de cela, elle se retrouve sous le feu des projecteurs. Au lieu d’essayer de faire ressentir la peur d’Elma au lecteur, l’autrice Mary Robinette Kowal se concentre sur le fait d’aider ses lecteurs à comprendre le challenge auquel Elma est confrontée.
Kowal introduit peu à peu l’anxiété d’Elma, montrant d’abord sa nervosité d’être au centre de l’attention lors d’une fête, puis son soulagement lorsque d’autres femmes sont nominées et mises en avant à un événement aérien auquel elle participe. Puis un oiseau endommage l’avion pendant la cérémonie, ce qui la force à procéder à un atterrissage d’urgence, ce qui lui vaut l’attention de la presse. Elle se cache dans les toilettes durant le reste de l’événement, et le personnage de dire à la première personne : « Bien sûr, il aurait été plus logique d’être effrayée par le crash, mais c’était les journalistes qui me terrorisaient. »
Cette réplique lucide sur son état, et la comparaison avec une situation de vie ou de mort, clarifie l’anxiété d’Elma chez le lecteur. Pendant l’histoire, Elma consulte également un médecin et obtient une prescription. Les médicaments l’aident à traverser une période difficile et lui permettent de faire une apparition devant un comité lors d’un congrès pour défendre un programme spatial. En montrant comment le traitement aide Elma, Kowal aide à réduire la stigmatisation habituelle dont font l’objet ces médicaments.
Pour illustrer la peur d’Elma lors de certaines scènes, Kowal se concentre sur des réactions physiques non contrôlées, incluant des sensations internes. Elma vomit régulièrement, souvent plusieurs fois, avant d’apparaître face à la caméra. Elle peine à respirer, ses mains tremblent, ses paumes deviennent moites, et parfois elle éprouve même le besoin de se serrer dans ses bras. Au lieu de penser à sa peur ou de justifier sa peur, l’autrice nous montre comment les pensées d’Elma se concentrent sur les efforts qu’elle doit faire pour se contrôler. Elle récite souvent les décimales du chiffre pi dans sa tête comme un mécanisme de défense.
Voici un extrait de l’une des scènes les plus anxiogènes du livre. L’antagoniste, Parker, a mené Elma dans une large pièce où l’attend une armada de journalistes. Devant tout le monde, le directeur du programme spatial annonce alors (au public, mais aussi à Elma elle-même !) qu’elle a été acceptée comme astronaute.
La pièce devient chaude. Froide. Chaude. J’ai certainement mal compris. Une annonce pareille, ils me la feraient forcément en privé d’abord.
Des flashs crépitent. M’aveuglent. Je ne peux plus respirer.
Astronaute.
La pièce tourne autour de moi comme si j’étais sanglée dans le siège de la centrifugeuse. J’en perds mon souffle. Ma vision s’assombrit sur les bords.
Astronaute.
3,14159265359… Quelqu’un m’appelle. Si je m’évanouis, que penseront les gens ?
Parker adorerait ça.Astronaute.
Putain, pourquoi ne m’ont-ils pas annoncé ça en privé d’abord ? On ne balance pas quelque chose comme ça à quelqu’un, à moins bien sûr de vouloir le voir vaciller…
Parker. C’est forcément Parker qui a suggéré ça.
Quelqu’un appelle mon nom une nouvelle fois et je tourne la tête vers la voix. La salle est un grand flou de sons et de lumières. Pas assez d’air.
Garde les yeux ouverts. Continue de parler. C’est juste un nouveau test.« Messieurs… » Je lutte contre la gravité afin de lever les mains en l’air. « Messieurs, si vous parlez tous en même temps, je ne peux pas vous entendre. »
De nombreux éléments de cet extrait seraient bien trop extrêmes pour un début d’histoire. Et s’il ne s’agissait pas d’anxiété, je recommanderais de couper la plupart des sensations internes pour se concentrer sur les détails qui évoqueraient des sensations équivalentes chez le lecteur. Néanmoins, cela fonctionne ici car :
Je ne pense pas qu’il s’agisse de la seule façon de raconter une scène avec un personnage qui souffre d’anxiété, mais cela fonctionne. Cela montre une connaissance détaillée aussi bien des effets physiques que psychologiques de l’anxiété, et ce sont des choses que l’on peut apprendre via l’expérience ou simplement quelques recherches sérieuses. La scène incite les lecteurs à encourager Elma tandis qu’elle combat son anxiété, sans chercher à reproduire cette anxiété chez eux. The Calculating Stars a remporté le Prix Nebula et est un finaliste récurrent des Hugos.
À la façon dont on évoque l’écriture d’habitude, on pourrait penser que les histoires sont imprégnées de sortilèges de manipulation mentale. J’aimerais beaucoup que cela soit le cas, mais la vérité est que le lecteur est maître de son propre esprit. C’est pourquoi le style le plus efficace n’essaie pas de dire aux gens ce qu’ils doivent ressentir : il leur donne un aperçu clair vers un autre monde, et laisse ce monde parler pour lui-même.