Le 10 novembre 2022, dans le cadre du concours Scribbook pour le NaNoWriMo, j’ai passé une (super) soirée avec vous à répondre à vos questions sur le Discord. L’idée était ensuite d’en faire un article de synthèse, mais… il y a eu beaucoup de questions et beaucoup de réponses ! Alors nous allons reprendre ça en deux parties. Voici la première.
Dès le début de mon intervention, j’avais prévenu que les questions allaient sans doute se répartir en plusieurs catégories, en particulier les questions liées aux « process d’auteurs » d’une part, et les questions plus techniques sur les textes d’autre part. Voici ci-dessous les questions du premier type ; l’article suivant reprendra les questions plus techniques. J’ai parfois interverti l’ordre de certaines questions pour en regrouper certaines. J’y ai ajouté aussi des questions posées sur le Facebook du groupe à la demande Jonathan.
C’est une question liée au processus d’auteur, et tout le monde est différent.
Je suis personnellement un auteur « architecte », qui planifie beaucoup avant d’écrire : je suis incapable de me mettre devant le clavier si je ne sais pas exactement ce qui doit se passer dans ma scène. Et en conséquence, non, je ne suis pas souvent bloqué si j’ai bien préparé. Il est difficile (puisque je ne te connais pas) de savoir où ça bloque. Mais mon avis, qui n’engage que moi, est le suivant :
Souvent, on pense que le problème vient de nous, alors qu’il vient du texte. J’ai tendance à penser que, si tu bloques, c’est que ton cerveau « sent » qu’il y a un truc qui ne va pas dans ta scène (pas le bon début, quelque chose qui ne colle pas, un illogisme que tu n’as pas remarqué, etc.)
C’est le cas quand moi je bloque (si je n’ai pas envie d’écrire cette scène, si je procrastine, si je regarde ma page d’un air fermé) : à chaque fois c’est parce qu’il y a un problème dans l’histoire et le texte, et je reprends les bases. À savoir : quels sont les objectifs de mes personnages dans cette scène ? Qu’est-ce qu’ils veulent, comment ils comptent l’obtenir, qu’est-ce qui les en empêche ? Etc.
Et si je suis honnête avec moi-même, je finis par trouver « pourquoi » je bloque, et ça devient assez facile de me débloquer.
Je suis un architecte (assez poussé dans le spectre entre les extrêmes jardinier-architecte). Rappelons les termes :
Les auteurs jardiniers sont les auteurs qui écrivent plutôt en improvisation : ils ne font pas de plan, ont une idée d’histoire sans savoir où elle va mener, et ils écrivent au fur et à mesure jusqu’à la fin.
Les auteurs architectes sont les auteurs qui planifient avant d’écrire : ils font un plan précis, et ne commencent pas la rédaction avant d’avoir tout planifié jusqu’au bout.
La plupart des auteurs sont entre les deux (ce n’est pas binaire, comme répartition : c’est plutôt un spectre). Certains connaissent leur fin, mais ne planifient pas toutes les scènes du milieu, etc.
Ce ne sont pas vraiment des « méthodes », ce sont des « natures » d’auteur.
Les deux ont une logique imparable, d’un certain point de vue : le jardinier dit « je ne peux pas savoir où va ce chemin tant que je ne l’ai pas emprunté et que je n’ai pas marché jusqu’au bout » (c’est très logique) ; l’architecte dit « je ne peux pas te dire quel chemin emprunter si tu ne me dis pas d’abord où tu veux aller » (c’est très logique aussi).
Ce qui est important, c’est de se connaître soi-même pour savoir comment on fonctionne, afin de tirer le meilleur de soi-même. L’idée, c’est de savoir comment on bosse le mieux pour ne pas se forcer à bosser d’une façon qui ne nous convient pas. Si vous êtes incapable de faire un plan et de vous y tenir, n’insistez pas ! Ce n’est pas important. Il y a plein d’auteurs super talentueux et super connus chez les jardiniers comme les architectes. Au final, les deux types d’auteurs font les mêmes choses, juste pas dans le même ordre !
L’architecte fait un plan complet, puis écrit. En général, il « perd du temps » en amont (faire le plan, ça peut prendre longtemps) mais en gagne en écriture puis surtout en réécriture (puisque son histoire tient généralement mieux debout du premier coup).
Le jardinier se lance dans l’écriture de suite. En général, il « gagne du temps » au début puisqu’il enchaîne les premiers chapitres très vite, puis peut avoir du mal à se frayer un chemin au milieu jusqu’à sa fin. Selon les cas, puisque tout est improvisé au fur et à mesure, il y a plus de chances d’avoir des choses à modifier en réécriture.
Mais au final c’est bonnet blanc et blanc bonnet : c’est juste l’ordre de travail qui change, l’un organise avant l’autre après, mais nous faisons le même métier.
C’est juste une prédisposition différente du cerveau qui fait qu’on a besoin ou pas d’un plan avant de faire, ou qu’on aime se lancer en impro (ce sont les mêmes qui lisent les plans Ikea avant de monter le meuble… ou pas). Les jardiniers me disent souvent que connaître la fin de leur histoire tuerait leur envie de l’écrire. Moi, c’est connaître cette fin qui me motive pour arriver jusque-là. C’est donc surtout une question de caractère.
Selon moi, tout est lié à l’ENVIE.
C’est l’angle que j’ai adopté pour les articles que nous avons publiés sur le scribblog pour le NaNo (et – pour faire lien avec la question précédente –, savoir si vous êtes jardinier ou architecte, c’est se connaître soi-même et donc ça fait partie de ça) = qu’est-ce qui me donne l’envie d’écrire ?
Si je n’ai soudain plus envie, la question devient : qu’est-ce qui me donnait envie d’écrire et que je n’ai plus ? C’est aussi une question « process d’auteur », et nous sommes tous différents. Mais justement : à chacun de se poser la question.
Moi, en tant qu’architecte, c’est la réalisation qui m’enthousiasme : j’ai une histoire dans ma tête, prête en théorie, j’ai mon plan, avec les personnages, mes enchaînements et une fin qui me motive. C’est d’arriver à cette fin qui est mon moteur. Tant que je crois à mon histoire, je n’ai jamais envie d’abandonner. Les jardiniers disent souvent que connaître leur fin tuerait leur envie : donc la question qu’ils doivent se poser, c’est qu’est-ce qui leur donne envie, à eux ?
Je dirais qu’il faut se connaître et apprendre à être lucide. Avec les années, je sais reconnaître les signes chez moi quand je n’ai pas envie d’écrire : je sais dire si mon histoire ne m’intéresse plus, ou si j’ai trouvé une autre idée, ou si un autre projet m’attire plus, etc. Et parfois, c’est dur, mais c’est ainsi : on avait un truc en tête, et finalement ça ne tourne pas comme on voulait. Parfois on peut redresser la barre en remettant dans le projet quelque chose qui s’en était échappé ; et parfois il faut juste lâcher prise. Écrire c’est long, et les gens changent : ce qui nous intéressait il y a un an ne nous intéresse peut-être plus aujourd’hui.
Pour essayer de limiter ce genre de situation, je vous propose un exercice :
Listez sur une feuille, à l’écrit, les 10 histoires qui vous ont le plus enthousiasmé ces dernières années. Cela peut relever de n’importe quel média : roman, film, série, BD, jeux vidéo, etc.
Et en face de chaque titre, vous expliquez (par écrit, encore une fois : il faut le verbaliser) pourquoi vous aimez tant cette histoire. Nous avons trop tendance à juger « j’aime/je n’aime pas » sans réfléchir plus loin que ça. Or c’est important : pourquoi j’aime tant cette histoire ? Les personnages sont cools et c’est bien écrit ? Non, foutaise : ce n’est pas lié à de quelconques qualités intrinsèques de l’histoire, c’est en lien avec moi. Elle me touche personnellement! En quoi ?
Regardez ensuite les choses qui reviennent (parce que vous risquez de voir des ponts et des points communs là où vous ne les pensiez pas). Creusez. Cherchez. À chacune de vos réponses, comme un enfant, rajoutez à chaque fois un « pourquoi ? » supplémentaire pour aller au fond des choses :
« J’aime cette histoire parce que les personnages sont super.
— Pourquoi ?
— Bah… tel personnage m’a fait pleurer, par exemple, je l’ai trouvé touchant.
— Pourquoi ?
— Il est marginalisé, il m’a rappelé moi quand j’étais jeune. »
Peu à peu, vous approcherez de la vérité : des choses que vous aimez profondément et qui vous réconfortent, des choses qui vous font mal. C’est un exercice long, n’hésitez pas à prendre le temps. Mais vous devriez, si vous êtes honnête avec vous-mêmes, découvrir des évidences.
Et ce sont CES ingrédients que vous devriez mettre dans VOS histoires (toutes vos histoires !) pour qu’elles vous motivent jusqu’au bout, pour que vous conserviez l’envie de les raconter jusqu’à la fin, parce qu’elles porteront votre ADN. C’est un exercice qu’on fait pour soi, qu’on ne publie pas, mais c’est facile de se mentir à soi-même : je vous encourage à le faire à l’écrit (et à le refaire au bout de deux ou trois ans, parce qu’on change et qu’on consomme de nouvelles histoires constamment).
Pour conclure sur cette question, je vous encourage à trouver la source première de votre ENVIE d’écrire vos histoires. Et alimentez-là pour ne pas tomber à sec.
L’inspiration, la créativité : j’ai vu un super documentaire Netflix un jour (je ne suis pas certain, mais il me semble que ça s’appelait Creativity, mais je ne le retrouve pas – je vous conseille aussi The Creative Brain ainsi que Abstract : The Art Of Design). Et la créativité et l’inspiration, ça vient de la multiplicité et la variété des choses que l’on vit. Cela a été prouvé par de multiples expériences. L’inspiration, ça ne vient pas « d’un truc » : plus on vit de choses, plus on fait de choses, et plus on a des chances d’avoir des idées et d’être inspirés.
Parfois, on sait (ou on devine) d’où nous vient une idée en particulier. Parfois non. Et parfois ça vient de loin ! Je crois que dans les milieux artistiques, il faut juste se contenter de « ne pas s’enfermer » dans une vie monotone ou cantonnée aux mêmes choses. Plus on fait de choses différentes, plus on se nourrit de choses différentes, mieux c’est.
Moi, je sais que les voyages m’inspirent beaucoup (je suppose, justement, parce que j’y vis des choses différentes de mon quotidien). Et ensuite, évidemment, ce que font les autres artistes dans notre domaine, c’est une source d’inspiration sans fin. Quand on écrit des histoires, on a tendance à en consommer aussi, et on a bien raison ! De nos jours, on a un puits infini de sources auxquelles s’abreuver : films, séries, livres, BD, jeux vidéo, jeux de rôle…
Sans compter nos passions personnelles, qui influencent nos écrits (que ce soit l’histoire, la cuisine, l’espace, que sais-je !)
C’est notre éducation et le « romantisme » qui entoure les études d’art (en particulier en France) qui nous inculquent cette idée de « l’auteur auto-générateur », et… ce sont de grosses bêtises. Parfois, certains auteurs disent ne pas lire d’autres auteurs pour « ne pas être influencés ». Tenir ce discours, c’est vraiment ne pas comprendre comment fonctionnent l’inspiration et la créativité. Nous sommes influencés, partout, tout le temps. Si vous n’êtes pas influencé par d’autres romans, vous êtes influencés par autre chose. Nous sommes des contenants, vides au départ, qui s’alimentent sans cesse. Ce qu’on vit (tout ce qu’on vit) est notre carburant d’artiste-créateur. Et ce qui fait une personnalité, c’est ce « mix » d’influences en nous, et personne n’a la même vie que quelqu’un d’autre. Non seulement « c’est ok » de s’inspirer de ce que font les autres, mais surtout nous n’avons pas d’autre choix. En avoir conscience est important, car cela permet de « se nourrir » en conséquence. En comme pour la nourriture, l’important est surtout de manger varié et équilibré.
C’est d’autant plus fascinant qu’il y a des tas de domaines où c’est bien mieux accepté, voire évident. En musique, par exemple, ou dans les milieux du jeu de rôle ou du jeu vidéo. Dans ces communautés, les influences des autres sont évidemment les principales sources de travail, personne ne le nie, et tout le monde y va à fond. En littérature, on continue de penser qu’un bon livre sort magiquement d’un auteur ou d’une autrice, « comme ça », de son for intérieur. Mais, comme tout le monde, un écrivain est une personne, et une personne est la somme des expériences qu’il/elle a vécues. Lisez des mangas et votre écriture sera influencée par les mangas ; voyagez et votre écriture sera influencée par les voyages ; travaillez dans le social et votre écriture sera influencée par le social. C’est comme ça que ça marche. Nourrissez-vous de ce que vous aimez, de ce qui est important pour vous, et ça se répercutera sur ce que vous écrivez. Et plus vous êtes influencé(e)s par des choses différentes, plus vous développerez une personnalité unique (que ce soit dans la vraie vie ou dans vos pages).
Les auteurs sont souvent obnubilés par l’idée « d’être original » : l’originalité, elle vient de là, du fait d’être soi-même le fruit d’influences disparates.
Les travaux de Campbell sont anciens (Le Héros aux Mille Visages date de 1949 !) et pour les comprendre il faut replacer les choses dans leur contexte : Campbell a travaillé à l’époque sur les mythes et légendes pour en faire une typologie, et ses observations ont donc essentiellement un intérêt si c’est le genre d’histoire que vous désirez écrire. Si vous ne voulez pas écrire une histoire d’aventure façon « ancienne saga mythologique », reposez donc les ouvrages de Mr Campbell sur l’étagère, ils ne vous serviront pas à grand-chose.
Si vous avez envie que votre histoire ait cette saveur particulière de légende et de mythe, écrire un héros « à la façon des anciens mythes » vous aidera à atteindre votre but. Si vous avez envie d’écrire ce genre d’histoire mais de « revisiter » les mythes, savoir comment les anciens héros étaient construits peut vous aider à en subvertir les principes et à créer de nouvelles figures. Mais voilà, cela s’arrête là : c’est une question de choix d’auteur par rapport à ce que vous voulez faire. Cela n’a jamais rien à voir avec « l’attrait du lectorat » (une telle chose n’existe pas). Le lectorat n’a aucune idée de ce qu’il veut, à part lire une bonne histoire. Et le grand public n’a jamais entendu parler de Campbell…
De façon générale, lire des ouvrages de référence vous aidera toujours à progresser en écriture, mais il existe beaucoup de livres bien plus récents et pertinents que ce bon vieux Mr Campbell, qui n’a travaillé que sur un genre très (très) spécifique.
Je suis un auteur architecte, très marqué par les travaux de John Truby. Mon point de départ pour écrire un roman, ma graine de départ, est toujours un thème – un sujet dont je veux parler. Pour cette série, je voulais parler de la mort (au sens « mort naturelle », la fin de la vie, par extension le cycle de la vie). Et quand j’ai mon sujet, alors je construis tout autour de lui, que ce soit au niveau de la dramaturgie (univers, personnages, intrigue) que de la narration.
Par exemple, on m’a déjà demandé « pourquoi les arbres géants ? » dans le roman. Et la réponse était « parce que je voulais que chaque peuple ait une durée de vie, qu’ils vivent puis meurent, et il fallait donc un mode de reproduction particulier », et ma réflexion m’a amené à ces arbres liés aux peuples, vivant en symbiose avec eux, portant les enfants. Beaucoup de choses inventées dans ces livres l’ont été en partant du thème, afin qu’ils m’aident à parler de mon sujet.
Et, pour répondre à la question, il en va de même pour tout, y compris narration et structure. Dès mon tout premier document de travail, j’avais noté cette idée que je pourrais découper la série en tomes basés sur les étapes du deuil – cela me semblait d’une grande logique, et j’avais l’intuition que ça m’aiderait à parler de mon sujet. Cela apporte de la cohésion à l’ensemble. Cela donne au lecteur un sentiment de progression dans le récit (soutenu par le travail sur les couvertures, avec un choix sur les couleurs donnant l’impression d’un cycle printemps, été, automne, hiver). Cela m’offrait aussi un beau cadeau : une liste de sous-thèmes sur mesure en lien avec mon sujet. Je savais ainsi que mon premier personnage serait aux prises avec le déni, le deuxième avec la colère, etc., et cela m’a donc guidé pour construire mes intrigues. Qu’est-ce que va nier mon premier personnage ? Forcément quelque chose en lien avec la mort, alors la mort de qui, de quoi ? Contre quoi va être en colère mon deuxième personnage ? Forcément quelque chose en lien avec la mort, alors la mort de qui, de quoi ? Etc. Cela m’offrait un cadre, une structure logique, et une grande cohérence à l’ensemble. Si tout va dans la même direction, l’histoire « coule tout seule ».
Et voilà pour cette première partie qui j'espère vous aura plu ! La suite est à venir très bientôt !